Horror Stories

Son expiation.


Elle marche sur la nuit comme si elle marchait dans le noir. À pas feutrés, effrayée par les murs qui l’entourent, et par la lune si blanche, trop blanche, qui sommeille dehors, qui projette une aura tout juste suffisante pour qu’elle ne puisse pas trébucher sur les boucles de laine du tapis rouge poussiéreux, étalé mollement, et longuement, si longuement, devant elle.


C’est donc à cela que ressemble son enfer.

Pas de chaleur extrême pour fondre sa peau déjà tant tannée, ridée, flétrie, par les années et le mépris dont elle a usé si souvent, si souvent. Pas de flammes pour faire crépiter le gras qui bougeotte de ses bras et ses jambes quand elle marche. Pas de petits diablotins ricanant et aux mains équipées de fourche, pour la pousser vers les laves bouillonnantes. Non. Juste ce tapis noirâtre et ce chemin infini.


Elle marche encore, encore.

À-t-elle, à un moment, envie de s'arrêter ? De souffler ? Respirer un peu ? La sueur perle, salée probablement, sur son visage tiré. Un soupir casse le silence de ses pas doux. Un petit soupir qui réveille les murs.

Ses pieds cessent tout mouvement, l’un tordu dans un angle qui n’est pas naturel. La douleur, d’abord légère, devient vite lancinante tandis qu’elle écoute les murs chanter. Elle frotte ses os, doucement, sans pouvoir s'empêcher de marcher vers le fond, loin là-bas.

Un petit murmure, comme un chuchotement venu de soi, de l’intérieur de la poitrine, et en même temps, venu de partout. Et qu’il ne cesse donc jamais, se dit-elle. Elle porte les mains à ses oreilles, mais le murmure s’intensifie. De doucereux il devient douloureux. Elle boite les yeux plissés.


Elle repense. Ses envies. Ses échecs. Ses projets sombres. Tant de désirs inachevés; de manigances échouées. Tant de plans évaporés avant qu’elle ne puisse s’en satisfaire ; avant qu’elle ne puisse se vautrer dans la douleur de l’autre à qui elle aura fait tant de mal.

La haine et l’appât. Elle le sait, de toute son âme corrompue, mais ne cesse, encore là, alors qu'elle expie, de vouloir revenir pour assouvir sa vie.


Que pense-t-elle en bouchant ses oreilles qui fondent entre ses doigts, en lamelles de peau noircie et molle ? Sait-elle que ce supplice durera tant qu’elle ne saura pas ? Qu’elle ne demandera pas pardon ? Sait-elle qu’elle n’y parviendra donc jamais ? Les murmures deviennent des cris. Les cris qu’elle retenait tant d’atteindre ses oreilles du temps où elle pouvait les tendre, et arrêter de les provoquer.

Les murs chantent une douleur qu’elle ne sait pas, qu’elle ne connaît pas, ne reconnaît pas. Ils saignent des mots aux sonorités étranges, exotiques.


Le sol, au coeur battant sous ses pieds nus et écorchés, se met à gonfler, puis dégonfler. Une danse lente et envoûtante, tout en supportant le poids de la femme qui fond, aux oreilles inexistantes. Deux trous, un de chaque côté de la tête, lui servent à entendre les pleurs de l’enfant utilisée à l’époque où elle vivait encore, où elle vampiriser le monde autour d’elle. Son enfant. Qui lui a servi de monnaie d’échange, de chantage. Son enfant qu'elle transforme en elle-même. Dont elle détruit l'âme pure, de laquelle ne reste que quelques éclats épars...

Son cerveau ne distingue plus la réalité de l’instant. Ses yeux voient du noir, le monde l’entoure pourtant de multitudes de couleurs ; du rouge, du violet, du bleu même, tout cela coulant devant ses yeux ternis. Sont-ce les jalousies passées qui jettent ce voile gris sur son regard ? Ses pensées haineuses ? Ses jours vécus en ne songeant qu’à détruire ceux des autres ? Elle n’a pas le temps d’y songer.


Le tapis alors laineux devient rugueux, puis épaissis d’une couche de verre pilé qui pèle ses pieds à mesure qu’elle avance, contre son gré. À genoux, les os saillant, elle avance encore, suppliciée.

Surgissent alors, devant elle et ses cuisses flageolantes, les fantômes qui la hantent, et qui la hanteront toujours. Elle avance, presque fondue et morte, encore et encore.

Puis enfin, enfin, cela cesse. Une porte, si belle, si blanche, au bout de ce couloir si sombre. Elle avance et pose sa main dévorée sur la poignée si propre.


Ouvre.

Doucement, dans un bruit léger, comme une clochette.


Et de nouveau se retrouve dans le noir sur un tapis rouge de laine, entière, propre, presque belle, sans ses yeux si morts… Avec son coeur toujours noir et si laid… Elle avance dans le noir… éclairée d'une lune si belle, tellement belle... Elle pleure déjà, mais continue d'avancer. Et ne cessera jamais. Jamais.